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« La voici toujours brûlée vive par cet abandon qui a duré neuf mois, les seuls mois de son existence où elle aurait eu besoin de quelqu’un »

Précédemment : Isolée du reste de la bande, Amal n’a pas souhaité plonger avec Henri et ses amis, Olivier, Audrey et Zoé. Tandis qu’elle enrage contre leur comportement à tous, son mari fait une étonnante découverte au fond de l’eau, sur l’épave près de laquelle ils ont plongé : trois pièces d’or anciennes.
Pas besoin d’ouvrir les yeux. Simplement, de derrière ses paupières, Audrey sait que la nuit est loin d’être arrivée à son terme et qu’à côté d’elle, dans le lit étroit pourtant pour deux qu’ils partagent dans la cabine centrale du bateau, elle trouvera la place d’Olivier abandonnée. Elle sait, elle reconnaît la matérialité du lit vide et de la nuit en son milieu. Pour l’avoir côtoyé durant de longs mois d’affilée, quatorze ans auparavant.
Neuf mois sans dormir à devoir écouter seule, de force et sans répit, une vie pousser dans son ventre, des centaines de nuits livides à attendre dans le noir sans jamais réussir à y croire, sa grossesse passée à fantasmer le pire dans le silence laissé par le père de son futur enfant, qui ne rentrera donc jamais chez eux, mais qu’est-ce qu’il fait, et s’il était mort, contre d’autres corps que le sien, déjà parti dans une autre vie ? Depuis, son fils est né, a grandi, son mari s’est soigné et a dormi chaque nuit à ses côtés. Mais la voici toujours brûlée vive par cet abandon qui a duré neuf mois, les seuls mois de son existence où elle aurait eu besoin de quelqu’un.
Sûre de retrouver Olivier fumant quelque part sur un bout de bateau ses cigarettes sans additifs à la chaîne en ruminant quelque chose d’amer, elle monte sur le pont. Toute à sa myopie lourde, elle ne voit rien. Elle a encore perdu ses lunettes et son fils n’est pas là pour les lui retrouver quelque part dans la douche au milieu des bouteilles de shampooing, à côté du lit, dans les toilettes. Il n’a pas voulu venir avec eux, ça y est, 14 ans, il a autre chose de plus grand qu’eux à vivre.
Dans son épais brouillard, elle distingue le pont avant, le cockpit, la plage de baignade ; vides, Olivier nulle part. Comment peut-on disparaître sur un voilier de 15 mètres de long, ancré à plusieurs kilomètres du bord ? Elle cherche et ne trouve que le ciel troué d’étoiles, la mer couleur gasoil. Un instant, son regard se perd dans l’eau noire ; une plongée de nuit est programmée le lendemain, elle a hâte, elle ne plonge pas pour la faune, la flore et les épaves, mais pour la sensation de flottement sous le monde, histoire de se fondre dans le paysage immergé et ralenti et de retrouver ses rêveries et son fils perdu, qui, après avoir été le plus doux et intelligent des petits garçons est devenu en quelques semaines, avalé par la goule adolescence, un petit égoïste idiot, flemmard, brutal qui ne supporte plus sa mère, ce qui la brise dans son entièreté.
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